J'ai souvent entendu que les concepts de cybernétique ou systémique étaient peu activables ou difficile à mobiliser. Et dans la dernière suite de liens, focus sur le management, un des articles m'a spécialement tapé dans l’œil : "How Capable Leaders Navigate Uncertainty and Ambiguity". En lisant chacune des "capabilities" je me suis dit qu'il y avait un angle "systémique" à aborder, de la même façon que pour "Le tout est moins que la somme des parties". Une manière d'illustrer ces mécanismes dans un contexte qu'on peut observer quotidiennement en milieu professionnel. Je tente alors en décortiquant une première "capability", et vous me direz si ça vaut une suite sur les autres.
"The ability to recognize and accept one's role in creating, contributing to, or perpetuating the current situation."
Interview Question:
Can you share a specific instance when you recognized your contribution to a problem? What led to this realization, and how did it influence your actions in the future?
Dans l'histoire de la cybernétique, deux mouvements ont eu lieu. Le premier est ce qui a donné naissance à ce que l'on appelait la cybernétique de 1ᵉʳ ordre. Elle a rassemblé de nombreuses disciplines scientifiques qui ont tenté de mettre en évidence des concepts communs entre elles, modélisant la façon dont l’information permet à un système de s’articuler, se commander. Ces disciplines étaient très variées, et rassemblaient des disciplines de la biologie, la sociologie, la physique… De là, la notion de "système" s'est définie autour de l’information, la commande et la régulation. L'objectif scientifique derrière ce mouvement était notamment d'améliorer la compréhension de chacune des disciplines à travers ce prisme commun, mais aussi de comprendre comment un système, animal ou machine, se contrôle. Selon Wikipedia :
Wiener déclare avoir fait dériver le mot cybernétique « du mot grec kubernetes, ou pilote, le même mot grec dont nous faisons en fin de compte notre mot gouverneur » Un second mouvement eu lieu quelques dizaines d'années plus tard, la cybernétique de second ordre. Bien qu'aujourd'hui elle soit absorbée par la systémie, les découvertes notables de ce mouvement ont perduré : l’auto-organisation, l'émergence, et, finalement, la considération que l'observateur fait partie du système. Et c'est exactement cette considération sur laquelle insiste le principe managérial mit en évidence par l’article « Accept we are part of the problem ».
De nombreux rôles omettent ce principe, non qu'ils se sentent simples observateurs, mais parce qu'ils sous-estiment l'impact de leur présence au sein de ces systèmes. Vous les connaissez. Les architectes, les managers de tout niveau, les consultants, et cetera. Quand un problème est observé, ces personnes vont considérer au mieux que le système observé est "malade", au pire que la « faute » de l'échec du système est due à l'une de ses parties, et qu’il faut agir ou informer depuis leur position pour que le système « guérisse ». Dans un système humain, par exemple une équipe, une erreur ou échec à réaliser une tâche ou atteindre un objectif sera attribuée à l'une des parties, voire à l'ensemble des parties, et mènera au blâme d'une ou plusieurs personnes, et/ou à une "correction" de son comportement. Ils s'attendent alors, suite à ces actions punitives ou correctrices, à ce que tout rentre dans l'ordre. Bien souvent, le problème est ailleurs, les causes sont même multiples, et une part des causes revient justement… au manager. Car si le système, l'équipe, peut être observé, c'est qu'il n'est pas complètement fermé. On en reçoit au moins des signaux, des informations, il nous impacte de façon directe ou indirecte, "quelqu'un nous a raconté que …" ou "le chiffre d'affaires est …". Le manager va donc recevoir ces signaux, et va réagir à ceux-ci par une ou des actions plus ou moins conscientes, que ce soit directement ou à travers un intermédiaire. Et cette action aura donc des effets sur l'équipe. Et à son tour l'équipe sera altérée, ce qui pourra être perçu à travers d'autres signaux. L'observateur fait partie du système. Tentons d'illustrer ce propos à travers un exemple.
Un manager s'inquiète de la performance de son équipe, car les objectifs ne sont jamais atteints aux échéances. Il va donc chercher des informations supplémentaires pour confirmer son intuition, mais ne fait pas confiance à son équipe. Il veut alors pouvoir s'informer par le biais de métriques censées représenter l'activité d'équipe. Les indicateurs sont d'abord mauvais, mais après que le manager leur ait bien montré qu'ils devaient s'améliorer selon ces métriques, ces dernières s'améliorent très vite. Cependant, à l'échéance suivante, l'équipe a cumulé un retard encore plus important.
De "son côté", l'équipe, qui a déjà remonté des problèmes à son manager, a compris que celui-ci les blâmerait pour chaque erreur ou problème qui lui serait communiqué. L'équipe a donc cessé de remonter ce type d'information négative, par exemple qu'un prestataire bloquait l'avancement sur certaines de leurs tâches. Quand les métriques ont été mises en place, le manager a fait part de son mécontentement à l'équipe, bien content de constater que son intuition était vraie : ça n'avance pas. Elle a ensuite compris la façon dont ces métriques pouvaient être positivement influencées, donnant le feedback erroné au manager que la situation était saine, alors que l'équipe cumulait les problèmes.
Le manager, par sa réaction aux feedbacks de l'équipe, a saboté sa structure de communication, comme le disait G. Weinberg. L'équipe étant blâmée lorsqu'elle remonte des difficultés, elle fait désormais en sorte de ne remonter que des choses positives, privant ainsi le manager et elle-même de tout levier d'amélioration de la situation. Les symptômes ou conséquences les plus visibles de ce type de phénomène sont une demande d’audit et/ou d’accompagnement de la part de la hiérarchie, le recrutement d’autres rôles pour « maîtriser la situation », c'est-à-dire toujours plus de contrôle.
Les questions d'interview posées sont donc exactement ce qu'il faut rechercher. A-t-on affaire à un manager qui sait qu'il est dans le système et donc un des facteurs des problèmes qu'il observe ? La différence d'expérience entre un manager qui connait son impact envers son équipe et un manager qui ne le connait pas sera notable. Car cette réalisation a le potentiel d'impacter toutes les pratiques managériales, du one-to-one à la revue de performance en passant par la gestion de carrière et encore la capacité d'emmener une équipe vers un objectif. Pour un manager qui sait prendre ce recul, ses réflexes aux situations managériales courantes seront donc très différentes de celles d'un manager qui ne s’est pas encore considéré comme faisant partie du système, des réflexes qui prennent du temps à être acquis