close icon
close icon

    Guerre informationnelle, et nous dans tout ça


    Vous n’en pouvez certainement déjà plus d’entendre parler de politique. La toxicité du milieu de l’information, que ce soit les journaux ou les réseaux sociaux, vous frappe ? Alors pour changer, on va parler de ce qu’il y a autour de la politique, pour comprendre pourquoi l’environnement actuel semble être de l’ordre du conflit, pourquoi les débats deviennent de moins en moins buvables, les opposés encore moins réconciliables, et en quoi la GenAI fera encore pire que de ne rien résoudre.

    Lessons from the meme war in Ukraine

    Underlying Lasswell’s work were two sets of insights. One is that the mass public played a key role in political outcomes, such as success and failure in war. Second, that those public attitudes could also be manipulated. Scaling to the mass-level, however, required simplicity. This included the use of symbols and slogans that were memorable, such that they could frame “pictures”—or, cognitive shortcuts—that the public recalled when engaging elected officials to shape certain policies. […] First, memes are not used in isolation from a particular military operation on the battlefield, such as an offensive or counter-offensive. Rather, they are concurrent and complementary to these military efforts, suggesting that they are meant to play a supporting role. Second, memes do not seem intended to directly influence diplomacy, but may further diplomatic efforts indirectly by bolstering popular support for the war. Third, memes target a diverse array of audiences, including Ukrainian citizens, expatriate audiences abroad, and Russians, especially soldiers’ families. This suggests that those creating and posting memes assume that success is a function of both domestic resolve as well as foreign material support. […] memes are meant not to replace hard power on the battlefield but instead to provide a psychological dividend to the successful application of hard power.

    Un article intéressant sur l’usage des mèmes en temps de guerre, spécifiquement dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne. La réflexion que je me fais en lisant le début de cet article c’est que, auparavant il fallait que la Russie déploie des efforts considérables pour influencer les opinions à l’échelle internationale (ça vaut son clic), et aujourd’hui des outils utilisables pour de la propagande de masse sont de plus en plus accessibles à n’importe qui et de moins en moins coûteux. Ça permet autant à un individu de créer un mouvement en peu de temps, qu’à un état d’en déstabiliser un autre sur le long terme. Un commodité qui, comme vous le verrez probablement dans certains liens de cette page, a également grandement bénéficié à la manipulation des/aux sphères complotistes.

    La guerre informationnelle dopée à l'intelligence artificielle

    OpenAI, le créateur de ChatGPT, avait indiqué fin mai que des groupes d'influence russes, chinois, iranien ainsi qu'une "entreprise commerciale en Israël" avaient utilisé ses programmes pour tenter de manipuler l'opinion d’autres pays. Les contenus fabriqués traitaient d'une "large palette de sujets, notamment l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le conflit à Gaza, les élections indiennes, la politique européenne et américaine ainsi que des critiques du gouvernement chinois par des dissidents".

    S’il fallait trouver un autre défaut à l’avènement de la GenAI… mais sans être anti-progressite, je pense que ça démontre une nouvelle fois l’inadéquation de nos systèmes de sensibilisation et légifération. Je vais même aller plus loin, si nous avions été mieux équipés pour informer et réguler les usages de nouvelles technologies, nous aurions déjà depuis longtemps collectivement coupé les budgets de projets d’usages délirants de la GenAI (notamment à destination de systèmes déterministes) pour booster ceux où cette technologie aurait eu les impacts les plus efficaces et bénéfiques. Si vous voulez creuser plus, voici un thread de David Colon à propos d’un papier de Google sur en quoi certains usages de la GenAI aujourd’hui permet de « fausser la compréhension collective de la réalité sociopolitique ou du consensus scientifique ».

    David Chavalarias. Minuit moins dix à l’horloge de Poutine: Analyse de réseaux des ingérences étrangères dans les élections législatives de 2024.

    Nous avons donc là une stratégie de division globale du Kremlin sur long terme, visant à raviver les tensions communautaires en France. Le conflit israélo-palestinien est dans ce contexte une aubaine. Deux courants contraires sont amplifiés : le pathos des personnes préoccupées par le sort des Palestiniens et la montée de l’islamophobie ; et le pathos de celles préoccupées par le sort des Israéliens et la montée de l’antisémitisme. Ces deux phénomènes sont bien réels mais leur perception est amplifiée par des actions sur les terrains numériques pour pousser chaque camp –ainsi que l’extrême-droite raciste et antisémite– à sur-réagir. Ceci provoque un phénomène d’auto-renforcement qui rend ces montées incontrôlables. Pour visualiser ces ‘courants’, nous avons analysé le discours sur l’antisémitisme et Israël et identifié les comptes de la twittosphère politique les plus touchés par cette problématique. Il est par ailleurs possible de calculer la sphère d’influence de @FRN, c’est à dire les comptes les plus susceptibles d’avoir été exposés à ses vidéos. En théorie, rien n’interdit que ces deux sphères puissent se recouvrir. On peut tout à fait être préoccupé par les horreurs commises par le Hamas et le Gouvernement de Natanyaou au Proche- Orient et par la montée de l’antisémitisme et d’attitudes hostiles envers l’Islam en France. En pratique il n’y a presque aucun recouvrement

    Un article du CNRS, plus précisément de l’institut dès systèmes complexes, qui expose une analyse de la division de groupes politiques dans le temps sur le réseau X. Le ton n’est pas fou, mais les données, analyses du macroscope et autres faits exposés comblent en partie les causes des divisions toujours plus marquées entre les idéologies portées par les différents partis politiques, et aussi de l’influence de l’astroturfing sur la campagne des législatives. Si cela vous intéresse, il a été partagé durant une commission d’enquête du Sénat sur les influences étrangères, en présence d’autres spécialistes venant témoigner de ces pratiques qui ont déjà été mises en évidence depuis 2013 par l’auteur du papier. Une des mesures proposées est de rendre possible l’audition des plateformes par des instances indépendantes, une mesure d’autant plus critique que l’on sait que les mécanismes de promotion de contenus sont parfois politiquement orientés, et même asymétriques entre pays comme décrit dans cet article de Public Sénat : TikTok : les stratégies d’influence de la Chine sont « de plus en plus sophistiquées », selon le chercheur Paul Charon.

    Bonus : alors que fait-on lorsqu’on utilise ces réseaux ?

    Cette partie vous concerne surtout si vous utilisez de tels outils, et si cela vous affecte de près ou de loin. S’il fallait faire un récap de ce en quoi cela nous concerne, la guerre informationnelle nous touche : soit indirectement parce que les zones virtuelles ne distinguent pas ou peu nos localisations géographiques, soit directement parce que nous faisons partie des populations cibles.

    Sur certaines plateformes de partage de contenus, les techniques de base de cette guerre consistent à créer du contenu suscitant suffisamment de réactions (ou faire en sorte que d’autres victimes s’approprient le message sous-jacent) pour qu’il soit visible dans les fils d’actualité des plateformes, et affaiblisse ou renforce les opinions des populations ciblées, ou de créer du contenu de façon à amplifier les opinions d’un groupe particulier afin d’augmenter la scission au sein de sociétés.

    En quelques sortes, toute plateforme affichant un flux de contenus collaboratifs favorisant les contenus qui provoqueraient le plus de réactions sont des zones propices à la guerre informationnelle. Ces plateformes, pour certaines neutres vis à vis des forces qui s’affrontent, tirent néanmoins le bénéfice des interactions suscitées par ces contenus. On est donc plus proche du mutualisme, des interactions bénéfiques pour les attaquants et les plateformes, que du commensalisme, des interactions bénéfiques que pour l’une des deux parties. La conséquence est simple, les plateformes ne sont très peu mobilisées dans la résolution des dangers auxquels elle exposent les états, que ce soit sous couvert de secret d’affaires, liberté d’expression ou de prétendue neutralité. S’il fallait donner des exemples de plateformes de ce type : 9gag, Facebook, LinkedIn, Reddit, TikTok, X, YouTube.

    Les contenus de ces plateformes finissent par nous avoir à l’usure. Pas nécessairement en nous convaincant des messages promus ou en nous opposant au reste du monde, mais parfois aussi en nous plongeant dans la négativité ou en développant notre fatigue.

    Le moyen le plus radical pour sortir de ces zones de conflit qui augmente la division et le mal-être de nos sociétés est tout simplement de les quitter. Si vous y étiez pour vos familles, créez des groupes dans des messageries instantanées. Si vous y étiez pour du contenu spécifique, agrégez les flux RSS des sources de ces contenus (blogs, news, …).

    Mais si vous ne pouvez trouver tout cela en dehors de ces plateformes (certains groupes familiaux étendus ne peuvent être atteints autrement), quittez les flux générés, et ne suivez plus que les sources auxquelles vous êtes abonnés. Vous remarquerez cependant que malgré cela, certains contenus toxiques vous parviendront car vos sources elles-mêmes n’ont pas cette hygiène, et subissent et réagissent à ces contenus. Autant que possible alors, utilisez les filtres de mots clés ou d’utilisateurs que ces plateformes vous proposent pour masquer le éléments potentiellement toxiques, et mettez les à jour régulièrement.

    Et pour ce qui est de la désinformation, en cas de doute, n’hésitez pas à consulter, voire même à vous abonner, à des sources de fact-checking tels que Factuel de l’AFP ou les revues de presse de ConspiracyWatch (je vous recommande au passage leur cartographie des sites français relayant tout type de désinformation). Vous vous préserverez alors vous-même, mais vous préserverez aussi votre entourage lorsqu’il vous fera part de fake news que vous auriez pu identifier sur ces sites.