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    Atteindre l'écoute active en groupe


    Pourquoi cet article

    En ce moment, j'anime des ateliers d'EventStorming pour l'équipe d'un client. J'ai été frappé par le manque d'écoute, et frustré par les conséquences : confusion dans le vocabulaire, trous dans le process, déformation du métier au service de la tech, … Tout ce que l'EventStorming devrait, si ce n'est éviter, minimiser.

    Ce n'est pas l'unique type d'atelier qui requiert de l'écoute. Et lorsqu'on parle d'échange, voire plus généralement de travail collectif, l'écoute devrait aller de soi : on échange rien si on ne peut pas recevoir.

    Je voudrais alors lister les signaux qui peuvent indiquer que les membres d'une équipe ne s'écoutent pas, et proposer quelques aides pour les surmonter.

    De quoi on parle, et que faire

    Certains de ces signaux peuvent être visibles chez les autres. D'autres seront plutôt internes à chacun. Et parfois, même pour soi, il sera difficile de les détecter.

    Parler en même temps, et discussions en parallèle

    Il est possible que dans certains groupes, entre personalités fortes, on ai besoin d'interrompre les gens. Il y aura alors un recouvrement de quelques brèves secondes, mais ça peut faire partie d'un protocole implicite, et qui ne frustre pas les gens. Il arrive en revanche que ce recouvrement soit plus long, voire même que la personne qui s'exprimait ignore une autre qui a voulu prendre la parole, et l'ignore au point de ne pas revenir vers elle. Dans ce cas, l'idée est imposée au groupe. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il n'y a que la personne qui s'impose qui n'écoute pas, c'est peut être une conséquence du fait qu'elle n'est pas écoutée. La personne va alors jouer le jeu du groupe, car l'écoute n'est pas dans cette culture.

    Pas aussi violent que le signal précédent, les discussions simultanées impliquent que, dans un groupe, plusieurs informations peuvent circuler sans que tout le monde soit au courant. Cela m'évoque un phénomène pouvant se produire dans un système distribué que l'on appelle un split-brain. Quand un split-brain se produit, des échanges à propos d'un même sujet vont avoir lieu avec des parties qui ne communiquent pas entre elles. Il en résulte que plusieurs "vérités" à propos d'un même sujet vont circuler dans ce système, à l'image de ce qu'évoque le split-brain : comme si deux parties d'un même cerveau ne communiquaient plus. Dans le cas d'un groupe, c'est comme si, entre elles, des personnes décidaient de la définition d'un terme tandis que d'autres personnes du même groupe décident d'une autre définition pour ce terme. Dans certains ateliers, ce phénomène est provoqué, et par la suite la structure de l'atelier mène à une "réconciliation" à propos de cette vérité. Justement dans le cas de l'EventStorming, les premiers instants durant lesquels les participants posent les premiers évènements vont se dérouler les uns plus ou moins indépendamment des autres. On profite volontairement de cette dispersion pour couvrir un maximum de cas. En revanche par la suite, on provoque une convergence et il faut alors que chacun partage les informations. Mais quand cela se produit sans ce protocole de réconciliation, comme plus tard dans les ateliers d'EventStorming, les gens continueront leurs discussions en pensant parler de la même chose, alors qu'en réalité ce n'est pas le cas, quand un terme est évoqué chacun pense à une chose différente. Cela implique également une perte de temps pour rattraper le contexte qui n'a pas été partagé lorsqu'on se rend finalement compte du quiproquo.

    Dans le cas des discussions parallèles, si les gens sont conscients du problème, le "remède" peut être simple. Une façon amusante peut être de proposer un moyen d'interruption qui attire l'attention comme une "boite à meuh". Une autre technique moins bruyante est d'instaurer un protocole où lorsque quelqu'un lève la main et se tait, les autres doivent aussi la lever et se taire.

    Dans le cas où la dynamique d'équipe ne le permet pas, et également pour s'occuper des prises de paroles imposées, quelqu'un peut être désigné, à tour de rôle, pour attribuer la parole lorsque cela devient chaotique. Cette personne devra alors faciliter les échanges, créer l'espace pour que chacun puisse s'exprimer tour à tour, et être attentive à ne pas en profiter pour pousser ses propres idées. Elle sera en revanche autorisée à interrompre les autres pour redistribuer la parole équitablement.

    Et si la facilitation par un membre de l'équipe est trop complexe à gérer, il faut probablement mobiliser une personne dont c'est le métier pour faciliter le travail de groupe, et autonomiser l'équipe sur ses protocoles d'échange.

    Penser à ce qu'on dira ensuite au lieu d'écouter la personne

    Ce signal est plus difficile à observer chez les autres, mais on peut parfois deviner qu'il se produit. Quand quelqu'un qui n'écoute pas reprend la parole, la suite peut ressembler à "J'entends mais …", ou bien elle peut commenter, avec une phrase superficielle, ce qui a été dit pour basculer sans transition à un sujet très différent. Parfois on verra même l'impatience de la personne se manifester dans ses gestes car elle est déjà dans la réplique d'après. Cela ressemble plus à du silence par politesse, mais pas de l'écoute. Et il y a fort à parier que si cette personne n'écoute pas, ses interlocuteurs finiront par ne plus écouter eux non plus.

    La meilleure chose à faire dans ces cas là, c'est de créer les conditions pour l'écoute. Si on suit la logique que l'écoute des autres vient en écoutant l'autre, il faut alors écouter activement la personne qui tente d'imposer son idée. C'est à dire de poser un maximum de questions pour bien saisir toute la portée de ce qui est dit, et prouver, notamment par la reformulation, que l'on a bien entendu ce qui a été dit. Ensuite, avant de proposer son idée, il faut basculer vers les idées des autres en suivant le même procédé, et démontrer par l'exemple le protocole à suivre pour échanger. Les gens qui n'écoutaient pas finissent alors par reproduire le comportement, par mimétisme, et persistent en réalisant qu'il n'est pas à leur désavantage, et en sentant qu'elle sont écoutées. La dynamique du groupe peut alors progressivement changer, et après des rappels par l'exemple lors des sessions suivantes, le protocole finit par entrer dans la culture du groupe. Il y aura très probablement récidive car ces personnes sont certainement dans d'autres groupes sociaux où les idées sont imposées, et dans ce cas il faudra persister jusqu'à ce que chacun intègre que ce protocole est propre à ce groupe.

    Quand il s'agit de soi-même ce n'est pas plus simple, surtout quand on n'a jamais fait attention à ce phénomène auparavant. On est convaincu que notre méthode/idée est la meilleure, et peut-être à raison, on veut alors absolument que l'équipe suive cette direction. Cependant, sans écoute, on se prive progressivement l'écoute des autres, et les prochains sujets ne seront pas plus simples à traiter car d'une part on ne bénéficiera pas des idées intéressantes des autres, mais ils ne bénéficieront pas non plus des nôtres vu qu'ils n'écouteront plus. En somme, on accumule une dette de fermeture d'esprit du groupe en forçant les choses sans considérer son interlocuteur.

    Se dire qu'on doit absolument écouter alors qu'on est la personne qui impose revient à une injection assez violente envers soi : au final, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, on écoute pas les autres car on ne s'écoute pas soi-même. Au contraire donc il faut chercher à comprendre ce qui nous met dans cette position : est-ce une peur ? une volonté de bien faire ? voit-on quelque chose venir que les autres ne verraient pas ? a-t-on très envie de vivre la mise en place d'une idée ? Une fois que l'on a identifié ce qui nous motive à pousser une solution, on peut se tourner vers les autres en soumettant notre problème. On leur demande alors de nous rassurer sur ces points si l'équipe venait à prendre une direction différente de celle que nous imaginions. Si ces inquiétudes étaient résolues avec leur solution, quelle justification resterait-il pour la nôtre ? De la même façon, par l'exemple vous montrerez que c'est acceptable d'abandonner ses idées, et que ça n'implique pas pour autant de taire les problèmes que l'on a identifié.

    Conclusion

    Lorsque chaque personne est consciente des problèmes d'échange, mettre en place un protocole reste la solution la plus simple. Mais lorsque ce n'est pas le cas, il faut se rappeler que l'écoute vient avec l'écoute, c'est un effort constant, mais sur le long terme il reste moins couteux et plus riche que de devoir imposer ses idées constamment. De fait, plutôt que de faire l'injonction à plus d'écoute, il est nécessaire de commencer par s'écouter soi-même, puis de donner l'exemple sur ce qui nous permet d'être entendu : partager les problèmes qui nous préoccupent, les questions, plutôt que les solutions.

    J'éditerai peut être à nouveau ce post si je détecte de nouveaux types de signaux, ou si je découvre des méthodes plus efficace pour rétablir l'écoute.