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    Le phare d'eau de nos règles, ou comment trouver son chemin dans notre fatigue sociale


    Pourquoi cet article

    Récemment, un ami m'expliquait que ses interactions sociales devenaient de plus en plus difficiles. C'est quelque chose que j'ai également vécu, et que j'ai tenté de comprendre. Différentes lectures m'ont permis de voir plus clair sur la perte d'énergie que ces interactions engendraient, et après avoir été accompagné par un thérapeute pour déloger de vieux mécanismes, j'arrive même à récupérer en marchant. La solitude est toujours un moment précieux pour me ressourcer, mais je ne suis plus autant drainé par une conversation, ni réfractaire à sortir en groupe. J'ai aussi à nouveau appris à exprimer mes sentiments.

    Cet article est une retranscription d'une suite de messages que je lui ai envoyé très tôt un matin, d'où l'absence de dialogue. Et je les publie sur sa proposition. Certaines parties sont accompagnées de commentaires en dessous en plus foncé et italique pour apporter du contexte ou des explications. N'hésitez pas à les passer si le paragraphe commenté vous parle. Un bouton a été ajouté spécialement sur cet article à cet effet. J'espère que certaines parties vous éclaireront comme elles m'ont éclairé. Bonne lecture.

    Début de la conversation

    C’est très clair parce que je suis passé par là. Ça peut encore m’arriver de temps en temps mais clairement pas aux intensités que j’ai connu ces dernières années. Et il y a des choses pour lesquelles je ne m’embête plus et d’autres pour lesquelles je continue de faire des efforts. Mais dans l’ensemble, je me fatigue moins, je récupère même.

    Pareil j’avais beaucoup de mal à sortir mes derniers points d’énergie pour parler avec ma femme le soir.

    Mon ami me disait que la majorité de ses points (d’énergie) étaient consommés lors de son travail. Il lui restait alors très peu d'énergie, même pour les interactions les plus faciles. À la longue, la fatigue qui s'accumule fait que le moindre effort semble titanesque, et nous donne envie d'abandonner toute interaction. On n'arrive plus à s'investir émotionnellement et pour autant on subit la détresse de nos proches. Il est clair que cette solution court-termiste isole et peut endommager profondément vos relations.

    Je trouve que certaines interactions demandent plus d’énergie parce qu’il y a plus à porter, autant pendant qu’en dehors de la conversation. Pendant parce qu’il faut parfois dépenser plus d’énergie pour transmettre un message sous une forme qui ne nous convient pas, et en dehors parce que nous repensons à une interaction qu’on aurait voulu voir se dérouler autrement, ou bien dont on anticipe l’effort et les conséquences.

    Là où je continue d’investir souvent, c’est sur le pendant l’interaction. Mais j’ai clarifié avec moi-même ce que j’étais prêt à taire, et ce que je devais exprimer (avec des formes, mais de façon claire et directe). En revanche je fais tout pour qu’en dehors ça ne traine pas dans ma tête, que ce soit l’anticipation ou les souvenirs.

    Pour le en dehors des interactions, faut enquêter avec la thérapeute pour « debugger » cet algo qui te pèse. Et pour les interactions avec les autres, faut comprendre quel overhead tu ajoutes pour transmettre tes messages ou les recevoir.

    Nous sommes tous les deux dans l'informatique et certaines analogies nous facilitent la transmission d'une idée. Par "débugger cet algo" j'entends analyser notre logique personnelle pour y trouver des incohérences. Et par overhead j'entend une charge supplémentaire à la charge utile, par exemple pour dire "j'ai faim" on pourrait prendre des pincettes avec quelqu'un en reniant notre propre besoin et lui dire "est-ce que tu aurais faim ?". Je reviens plus loin sur la nature de cette charge.

    Quant à la thérapeute, mon ami a récemment pris rendez-vous avec elle, ce que j'ai également fait à ce moment là. J'avais choisi un practicien en fonction de mes lectures, et à ce moment là, c'était The Satir Model. C'est un livre sur les méthodes de Virginia Satir, une psychothérapeute familiale qui a développé des méthodes humanistes et systémiques. C'est à dire que le thérapeute entre dans la relation avec l'accord des parties pour apporter un oeil extérieur sur leur système d'interaction. En somme, en interrogeant, écoutant et en observant, elle met en évidence les rapports de force et les cercles vicieux. Elle ne va pas vous dire ce qu'il est normal de faire ou penser dans une relation ou à titre personnel, car on considère que chacun est complet, unique, et fait de son mieux, mais elle travaillera le rapport entre une personne et son environnement. Le thérapeute que j'avais trouvé suivait la Gestalt-thérapie, dans la mouvance de ce que je viens de décrire et prenant ses sources dans les théories de Kurt Lewin, Carl Rogers ou encore Abraham Maslow (surtout connu pour la pyramide éponyme que le monde de l'entreprise interprète sans comprendre la profondeur et les nuances de sa théorie).

    Tu remarqueras que dans les deux cas les solutions sont de ton côté :) du moins au début, ça ne veut pas dire qu’il n’y aura rien à clarifier avec d’autres.

    C’est normal ce qui arrive, et ça peut arriver à tout le monde, d’autres n’iront pas jusque là mais traîneront des fardeaux qui ne les ont pas encore vidés, mais les entament progressivement.

    Ces fardeaux ce sont des règles que tu as apprises.

    Je parle beaucoup de règles où la personne subit parce que c'étais mon cas. D'autres peuvent avoir des règles différentes comme : "Quand je me sens vulnérable je dois faire des blagues à propos de tout", ou encore "Quand on expose une de mes failles, je dois blâmer quelqu'un d'autre". Une de mes craintes était d'ailleurs de trop m'exprimer, de me mettre en colère, par peur d'être violent avec d'autres, aussi violents soient-ils, parce que j'étais (et je suis toujours) convaincu qu'ils souffraient et que ma colère ne résolverait rien (ça par contre je suis désormais convaincu du contraire depuis que j'ai compris ce que me permet ma colère).

    Ces règles apparaissent naturellement. C’est normal qu’elles existent, car elle nous permettent de nous adapter à notre environnement, et elles se forment très très tôt dans notre vie pour équilibrer les besoins bruts avec la réalité : « Quand j’ai envie d’uriner, je dois attendre d’être aux toilettes » Chez Freud et Jung la partie besoin brut est dans l’inconscient, c’est elle qui crie à travers des signes physiques quand elle ne peut plus s’exprimer à travers certaines règles qui laissent le besoin inassouvi. L’ego (oublions la teinte négative qui lui est associée pour l’instant, c’est le moi) lui est à cheval entre conscient et inconscient. C'est ici que tu as les règles qui tentent de réconcilier tes besoins avec les limites de la réalité. Et dans le conscient tu as tes pensées, ce que tu dis et parfois ce que tu fais. Mais tu as une troisième partie, le surmoi, l’idéal qu’on voudrait atteindre ou encore notre juge intérieur, le « je devrais être comme ça » ou encore "ne fait pas ca".

    Heureusement que des règles s’installent, ça évite les « j’ai sommeil je vais m’endormir au milieu de la route », et heureusement qu’on a une cible à atteindre pour devenir meilleur. Tout ça nous aide à survivre et à vivre en société. Mais on comprend assez vite que l’esprit coincé entre trois parties avec leurs exigences (réalité, idéal, besoin) galère à jongler sur des règles pour tout satisfaire. T’as déjà codé un système avec autant de règles de gestion ? C’est sûr, ce sera buggé x)

    Pour faire une autre analogie sur les systèmes avec plein de règles de gestion, imaginez un jeu de plateau avec un gros livre de règles. Plus vous aurez de règles dans ce livre, plus il sera difficile de prédire les impacts qu'une règle aura sur une autre. On finit facilement avec un jeu déséquilibré.

    Tout n’est pas réconciliable, c’est pour ça qu’on vit mieux avec des paradoxes qu’avec des absolus. Et ces paradoxes ne sont pas nécessairement déraisonnables. Ils sont une façon que ton esprit a trouvé de réconcilier les choses.

    Seulement voilà, réconcilier les choses (réalité, idéal, besoin), l’esprit le fait au cas par cas. Heureusement, c’est bien pour cette raison qu’on peut si facilement s’adapter. Et c’est grâce à ces règles qu’on s’en sort. Mais parfois, certaines règles vont persister, même quand on en a plus besoin. On continue alors à appliquer les : « Quand je prend la parole en public, on se moque de moi, donc je dois être discret pour me protéger » Grâce à cette règle, au collège, on ne venait plus m’embêter vu que j’étais moins visible. C’est génial, cette règle a bien fait son job. Mais quand il s’agit de défendre ses droits dans une autre situation, ou de démontrer notre légitimité sur un sujet, elle nous encombre.

    Cet encombrement pèse pendant nos interactions, parce qu’on tente d’appliquer quantités de règles juste pour faire passer un message.

    Mais ça pèse aussi en dehors.

    Quand on ressasse, c’est parce que des règles bien cachées nous font rejouer un événement qu’on arrive pas à réconcilier. Par exemple face à quelqu’un qui nous exprime sa douleur vis à vis de ce qu’on lui aurait fait ou dit : « Je devrais toujours être bien vu par les autres », « Je devrais exprimer ma crainte » Et on arrive pas à décider ce qu’on doit faire de l’évènement.

    L’anticipation fonctionne à peu près pareil, on arrive pas à décider de ce qu’on devra faire, donc on boucle entre des règles irréconciliables, et pire, vu qu’il nous manque la réalité (vu qu’on ne peut pas prédire ce qu’il se passera) on invente. Sauf que les événements inventés déclenchent d’autres règles, et tu peux tomber dans des boucles complètement artificielles.

    Pour s’en sortir, faut pouvoir éditer ces règles.

    Y’a plusieurs étapes (que Weinberg décrit très bien, je pense me rappeler qu’il en parle dans Becoming a change artist, ou Becoming a technical leader) La première c’est de conscientiser ces règles. C’est là que le thérapeute est le plus efficace. Tandis que tu seras perdu dans une boucle sans la reconnaître, elle, en oeil extérieur, pourra mettre en avant des contradictions. Une fois évidentes, faut comprendre pourquoi elles sont là. Quelle est la situation dans laquelle nous avons eu besoin d’établir cette règle ?

    Gerald Weinberg est auteur de livres des domaines du conseil, de la résolution de problèmes, de la gestion d'équipe technique, de la transformation de groupes, … Il a notamment été influencé par Virginia Satir, et c'est l'un de ses livres qui m'a poussé à creuser les pratiques de cette psychothérapeute.

    Une fois au grand jour, il faut commencer par reconnaître son utilité. Y’a pas de « nan mais quel idiot, qu’est-ce que je fais avec ça » Heureusement que cette règle était là, bravo pour avoir remédié à cette situation à l’époque

    Mais maintenant voilà, qu’est-ce qui dans cette règle aujourd’hui fait que ça ne fonctionne pas ? Faut-il tout jeter ? Ou bien seulement l’améliorer ? Ou encore ajouter une règle supplémentaire ? « je devrais exprimer ma crainte, en étant le plus clair possible sur mes intentions et sans accuser pour que la personne ne se sente pas attaquée » « Je ne suis pas responsable des émotions des autres, quand j’ai fait de mon mieux pour ne pas les offenser ». La meilleure et unique solution n'existe pas, on tente de réconcilier trois parties (peut-être plus ?)

    Ici, "peut-être plus" inclut les personnes avec qui nous interagissons. Souvent nous aurons des règles spécifiques dans nos interactions avec chaque personne.

    Puis on tente ces nouvelles règles, on analyse, on ajuste. Finalement faut peut-être dépenser un peu plus ou moins lors de la conversation pour éviter de boucler.

    En plus d’avoir vécu tout ça, y’a trois bouquins qui m’ont permis de comprendre tout ça :

    Ce qui est génial, c’est qu’une fois que tu comprends ça, ça ne peut que prendre la bonne direction pour toi et ton entourage :D

    À la fois on devient plus tolérant avec soi-même, on est plus attentionné à nos propres besoin, et on est aussi plus tolérants envers les autres

    En somme, tu te feras du bien, et ça diffusera dans ton entourage :)

    Fin du monologue et un peu de rab sur la colère

    Si je reviens sur la colère dont je parlais en commentaire, je disais qu'elle m'effrayait parce que j'avais peur de blesser, même ceux qui seraient violents avec moi parce que j'étais persuadé qu'ils étaient eux-même blessés. Je suis toujours convaincu de leurs douleurs et difficultés. Par exemple le blâme est un mécanisme de compensation externe à une situation difficile à réconcilier en interne.

    En revanche j'ai complètement changé de posture vis à vis de ma colère. Avant je pensais m'être mis en colère 2 fois en 3 ans. Deux explosions violentes et blessantes pour mes interlocuteurs parce qu'ils avaient dépassés des limites et que j'avais l'énergie de les défendre. Mais en discutant avec mon thérapeute, j'ai réalisé que ma colère se faisait sentir bien plus souvent que ca, parfois plusieurs fois par semaines, mais à plus faible intensité. Si faible que j'interprétais cela que comme une gêne répétitive à laquelle je m'étais habitué dans mes interactions. Je ne l'exprimais donc presque pas. Sauf que lorsqu'on ne l'écoute pas un besoin aussi récurent de respect, soit on implose, soit on explose. Deux fois en trois ans c'est peu, donc la plupart du temps j'implosais. Ca se manifeste par des burn-outs, des dépressions, des choses qui ne touchent que nous donc, et n'agissent pas sur ce cri interne qui demande à être respecté par notre interlocuteur. Je pouvais ressentir cette gêne par exemple lorsqu'on me demandait (sans vraiment me demander) si je pouvais prendre en charge un énième chose et que je n'osais pas refuser. Ou bien encore lorsqu'on me disait que mon boulot n'était pas suffisamment bon (sans forcément d'arguments, mais j'étais une éponge vis à vis de ces commentaires, et mon surmoi s'en alimentait à coeur joie).

    Alors quoi, ai-je explosé pour réclamer mon dû ? Non. Ai-je fais sentir à la personne qu'elle était responsable de ma colère ? Je n'espère pas. Mais je ne me suis pas tû pour autant. La méthode est "simplement" d'expliquer pourquoi nous n'accepterons pas une situation, en disant très clairement "je ne veux pas" ou "non". Si on expose clairement notre limite, et qu'on n'accuse pas la personne en face de la franchir, le plus souvent les gens entendront simplement qu'ils devront trouver une autre solution, ou bien ils ne se sentiront simplement pas visé. Dans les cas où la personne le prendrait mal, vous aurez fait au mieux pour ne pas blâmer. Peut être vous exprimera-t-elle une limite que vous pourrez alors respecter. Mais vous n'êtes pas responsables de ses conflits internes.

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