close icon
close icon

    Effets de pratique distribuées sur la mémorisation


    Introduction

    L'étude des effets des pratiques distribuées a débuté avec les travaux d’Hermann Ebbinghaus à la fin du XIXe siècle. La dernière revue sur le sujet date de 1987. Ceci est la synthèse d'une revue de Émilie Gerbier et d'Olivier Koenig publiée en 2015 dans L'Année Psychologique 2015/3 (Vol. 115).

    Dans cette revue, il est question de deux sous-effets de la pratique distribuée :

    Effet d'Espacement

    Paradygme expérimental

    Pour mesurer cet effet, l'expérience s'est déroulée en 3 étapes :

    1. La phase d'apprentissage
    2. Le délai de rétention
    3. La phase de rappel

    En phase d'apprentissage, on présente deux fois les items à apprendre. Pour chaque présentation, le participant a pour objectif de mémoriser ces items. Deux types de phase d'apprentissage seront évaluées, en faisant varier l'intervalle inter-répétition (IIR), c'est à dire l'intervalle entre la première présentation d'un item, et sa deuxième présentation. Dans le cas d'une IIR nul, l'item est alors présenté deux fois d'affilée (e.g. IRR de 0 = dog-chien, dog-chien). On parle alors de condition massée. Dans le cas d'un IRR positif, les deux présentations d'un item sont intercalées avec la présentation d'autres items (e.g. IIR de 2 = dog-chien, house-maison, car-voiture, dog-chien). On parle alors de condition distribuée.

    Après la phase d'apprentissage, un délai de rétention (DR) variable s'écoule avant la phase de rappel.

    En phase de rappel le paticipant doit restituter un maximum de bonnes réponses. Les méthodes de rappel peuvent varier : rappel libre (dog-chien), rappel indicé (dog-?), reconnaissance, jugement de fréquence …

    paradygme expérimental L’Année psychologique, 2015/3 (Vol. 115), p. 435-462. Schéma du paradigme classiquement mis en œuvre pour étudier les effets de pratique distribuée. Cas A étude de l'effet d'espacement. Cas B étude de l'effet d'intervalle.

    Résultats

    Les performances de la condition distribuée sont deux à trois fois supérieures à la condition massée. Ces performances sont indépendantes de la méthode de rappel utilisée. La condition distribuée mettrait en jeu la mémoire procédurale, ce que ne mobiliserait pas la condition massée. Trois hypothèses ont pu être testées dans ces conditions.

    Mécanismes en jeu

    Variabilité d'encodage

    L'hypothèse de variabilité d'encodage, selon laquelle une information serait mieux mémorisée en la répétant dans des conditions différentes, n'a pas été retenue. Ces conditions peuvent être la couleur, le son, l'état émotionel, les items vus précédement, et cetera. Là où la variabilité d'encodage semble augmenter sensiblement les performances en condition massée, elle est contre productive en condition distribuée.

    Au contraire, la mémorisation en condition distribuée est plus efficace quand un item est répété dans des conditions similaires.

    Traitement déficitaire

    L'hypothèse du traitement déficitaire, selon laquelle l'attention à la mémorisation décroit lors de la seconde présentation d'un item, a pu être prouvée dans les deux conditions. Cependant la décroissance d'attention est plus importante en condition massée que distribuée.

    Cette décroissance serait à la fois physiologique et consciente. Consciement, on suppose que le participant pourrait plus facilement avoir l'illusion de savoir en condition massée car il vient à peine de voir la première présentation lorsqu'on lui présente la seconde. Physiologiquement, en condition massée l'item est encore en mémoire de travail (très court terme). L'activation, et donc le traitement sémantique (l'appropriation du sens), serait alors moins importante.

    On remarque aussi que plus l'IIR est important, moins le traitement déficitaire est important. L'attention à la mémorisation est d'autant plus importante que la deuxième présentation est espacée de la première. Cela serait dû à l'absence de suppression de répétition, c'est à dire que lorsque l'information est répétée à très court intervalle, le cerveau réduit l'importance de l'information.

    L'amplitude de cet effet d'espacement ne varie pas avec l’âge.

    Des mécanismes neurophysiologiques à l’œuvre au niveau synaptique dans l’effet d’espacement ?

    En stimulant des neurones de façon espacée, le neurone pré-synaptique (celui qui emet) renforce la synapse du neurone post-synaptique (celui qui reçoit) au contraire de stimulations en condition massées. On observe que les changements biochimiques en sein des neurones sont plus importants lors d’une stimulation espacée, c'est à dire qu'ils sont plus impactés par la stimulation.

    Effet d’intervalle sur une longue échelle de temps

    Paradigme expérimental

    Dans les conditions citées précédement, la variation a portée à la fois sur les intervalles inter-répétition (IIR) et sur les délais avant le rappel (DR).

    paradygme expérimental 2 L’Année psychologique, 2015/3 (Vol. 115), p. 435-462. Reproduction d’une partie des résultats de l’étude de Cepeda et al. (2008).

    Résultats

    On observe d'abord que la performance est plus durable après une répétition que avant. On constate que la durée d'IIR optimale a une durée plus courte que le DR. Cet effet est observable quel que soit l'âge et l'espèce. Par exemple, on a pu observer une IIR optimale de 1 jour pour un DR de 7 jours, ou bien une IIR de 21 jours pour un DR de 350 jours. L'IIR optimal doit donc être calculé pour un DR donné.

    Mécanismes en jeu

    Hypothèse de la récupération en phase d’apprentissage

    L'hypothèse de la récupération en phase d'apprentissage, selon laquelle la reconnaissance d'un item lors de la phase d'apprentissage favorise sa mémorisation, est validée. Cette validation appuie la réfutation de l'hypothèse de variabilité d´encodage, un item doit donc être présenté de façon similaire pour faciliter sa mémorisation.

    La répétition est plus efficace lorsque la reconnaissance d'un item mobilise la mémoire à long terme, ce qui appuie les résultats de l'hypothèse du traitement déficitaire. La condition massée ou une IIR court mobilisent la mémoire de travail ce qui n’apporte aucun bénéfice. En revanche si l’IIR est trop long, la récupération est très difficile voire impossible, et la répétition n’est pas reconnue.

    Il existe donc une IIR optimale favorisant la mémorisation.

    La non-indépendance des traces en mémoire et la suradditivité

    La mémorisation est plus efficace lorsque que les traces mnésiques ne sont pas indépendantes. C'est à dire que la mémorisation de la seconde présentation dépend du lien qui peut être créé avec la première. Lorsque la seconde présentation d’un item semble différente de la première, les traces mnésiques on plus de chances d’être indépendantes.

    L’espacement de la répétition d’un item perçu comme identique ajoute un statut particulier à l’item qui le rend plus simple à récupérer, et donc, selon la précédente hypothèse, facilite la mémorisation.

    Mécanismes cognitifs en jeu dans la récupération en phase d’études

    Lors de l'effort de mémorisation d'un item à la seconde présentation, ce n’est pas la première mémorisation qui est renforcée, mais la nouvelle mémorisation qui bénéficie de la première. On parle de mémorisation récursive. Une nouvelle mémorisation repose alors sur :

    La mémorisation récursive est une composition des mémorisations plutôt qu'une mémorisation indépendante des différentes occurences.

    On observe aussi que l’expérience subjective consciente du contexte passé favorise la remémoration (dans d'autres expériences, il a été observé que la force d'un souvenir était dépendante du contexte émotionel et de la force de ce dernier). Pour autant, la remémoration serait plus forte avec des délais importants parce que les éléments instables (contexte, émotions) disparaîtraient plus facilement avec le temps que les éléments stables (sémantique). Un délai important permettrait alors de ne renforcer que l’essentiel.

    Consolidation et sommeil

    La consolidation peut avoir lieu dans la minute et plusieurs jours après, et semble se produire en rattachant des zones au sein de l'hypocampe.

    Le sommeil participe aussi à cette consolidation. Un sommeil normal entre les IIR renforce les performances de rétention. (Sur les épaules de Darwin: La stimulation biochimique de la journée est comme purgée des signaux les moins forts : chaque signal perd en intensité et ne persistent que les plus forts).

    Dans les expériences, une IIR de 7 jours semble optimale pour 2 mois, et une IIR de 21 jours au delà.

    Conclusion

    Durant ces expériences, il a aussi été observé que le test de rappel d'un item permet une mémorisation plus efficace que si l'item est simplement présenté à nouveau. On observe aussi qu'induire le rappel des présentations précédentes améliore la récupération.

    Finalement, les répétitions massées d’une même leçon ne sont pas favorables à l'exercice de mémoire des enfants. Il n'y a pas de durée optimale précises dans l’éducation, mais une distribution des répétitions sur plusieurs jours suffit quand les tests sont suivis d’une séance de réapprentissage (présentation des questions et solutions).

    Une piste pour la mémorisation à plus long terme serait plus de répétitions avec une augmentation progressive des IIR.

    conclusion L’Année psychologique, 2015/3 (Vol. 115), p. 435-462. Reproduction d’une partie des résultats de l’étude de Cepeda et al. (2008) avec inversion des axes.

    Récap/Idées

    Il faut estimer le délai de rétention voulu avant de décider d'une fréquence de répétition. Lors de ces répétitions, il faut être attentif à ce que l'item soit reconnaissable pour provoquer la récupération des présentations précédentes.

    Une répétition dans la même journée n'a presqu'aucun bénéfice si l'objectif est de mémoriser pour plusieurs jours. Dans le cas d'un apprentissage à très long terme, la fréquence de répétition doit s'espacer progressivement en suivant une fonction puissance. On peut étudier l'efficacité d'une suite de Fibonacci : 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34. La répétition à très long terme nécessiterait d'atteindre des espacements de plus de 21 jours. D'un élève à l'autre cette séquence sera plus ou moins efficace. Par la mesure des résultats de rappel, on pourrait augmenter la difficulté de rappel quand l'élève a de très bons résultats en augmentant l'espacement entre les répétitions, et la réduire dans le cas inverse.

    Si toutes ces conditions sont respectées, il faudra également que le sommeil des élèves soit suffisamment bon pour que la consolidation mette en évidence les éléments les plus importants à mémoriser.

    L'effet du contexte émotionel est aussi à surveiller. Pour aller plus loin sur l'effet des émotions, voilà un article de l'unité Inserm V1077-EPHE-UNICAEN\ Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine de Caen.

    On voit alors que le bachotage repond très bien au problème qu’il tente de résoudre : Pour un délai de rétention à très court terme, des répétitions faiblement espacées sont efficaces. Aujourd’hui cette méthode donne des résultats suffisants dans une logique de rentabilité scolaire pour passer des contrôles relativement simples. L'illusion de réussite répétée de cette méthode pendant toute la scolarité pourrait-elle être responsable d’une accoutumance à la procrastination ? En tout cas, il n’encourage certainement à planifier ses révisions.

    Les élèves questionnent également l’intérêt de la mémorisation à long terme : à quoi servent les cours plus tard ? Je me rappelle m’être souvent fait expliqué (et c’est encore le cas des générations actuelles) que ça me servirait plus tard. En tant qu’adulte, la projection à long terme est chose aisée, bien que les espèces de notre planètes puissent certainement contester ce postulat. Mais qu’en est-il des élèves à qui l’on demande se préparer à des évènements encore loin de leur réalité (pour dans le même temps leur dire qu’il faut profiter de leur présent).

    Une solution serait de relier les cours a l’actualité. Chaque évènement plus ou moins proche de leur réalité pourrait être expliqué dans les cours de différentes matières. Le bénéfice serait théoriquement double.

    Le premier serait de les aider à donner du sens au monde qui les entoure. Comprendre notre environnement et notre place en son sein est le premier pas vers des choix informés et alors une éthique politique.

    Le second serait que pour chaque nouvelle ressemblant à une actualité expliquée et comprise, un rappel serait provoqué sur le cours et l’explication. L’actualité elle-même renforcerait alors la mémorisation des éléments du cours qui font sens dans leur réalité. Ces connaissances perdureraient alors à plus long terme, et plutôt que sous une forme standardisée et sémantiquement légère, une forme subjective et assimilée.

    Source